- Accueil
- Les publications de Jacques Lamontellerie
- Paul Saboureault (1908-2001)
Paul Saboureault (1908-2001)
Hiver 2001
Paul SABOUREAULT
(1908-2001)
Taillonnais de naissance, cet ancien Commandant de l'Armée de l'Air est décédé à l'hôpital de Royan, le 12 Août 2001. Il avait 93 ans.
Se souviennent de lui à St Ciers seulement les membres de sa famille, de parenté plus ou moins éloignée, en petit nombre, et quelques personnes âgées. D'autres en avaient entendu parler. Pour la plupart d'entre nous, surtout dans les jeunes générations, il est complètement ignoré.
C'était cependant un homme d'exception. Il ne faut pas, par oubli dans sa commune natale, qu'il meure une seconde fois.
C'est pour cette raison que j'en parle aujourd'hui dans le Bulletin Municipl. Son souvenir honore notre mémoire locale.
Il fut l'un des inventeurs du premier planeur français et était détenteur d'un record d'altitude.
Pilote de bombardier pendant la dernière guerre, sa conduite au combat fut exemplaire.
Chevalier de la Légion d'Honneur à titre militaire, son nom va prochainement s'inscrire, en Charente-Maritime, sur le Livre Mémorial du Bicentenaire de cet Ordre National institué par la loi consulaire du 29 Floréal de l'An X - 19 Mai 1802 - en vue de récompenser les plus éminents services, tant dans le domaine civil que militaire.
*****
Paul, Marius, Roland Saboureault avait vu le jour un matin, à 10 heures, au village de Chez Gouit, le 16 Août 1908.
Ici, on l'appelait Marius, et encore maintenant.
Georges Saboureault, son père, alors âgé de 25 ans, était bourreleir. Il fabriquait des harnais, c'est à dire tout l'équipage de cuir d'un cheval, et aussi tout l'équipage de cuir d'une voiture (à cheval évidemment). Il travaillait dans le bourg, chez son propre père, et avec son frère. Tous les trois étaient bourreliers.
Laure Chaillot, 23 ans, la mère de Marius, vivait chez Gouit, avec ses parents. Elle était tailleuse. Ce terme désignait, autrefois, une couturière qui travaillait soit chez elle, soit à domicile.
Le père et la mère de Marius, après leur mariage, avaient loué une maison dans le bourg. Ils eurent deux fils. Jean, le frère de Marius, décédé à l'âge de 58 ans, était né le 11 Août 1911.
Cette même année, par la cession d'un terrain de la ville, les Chemins de Fer de l'Etat agrandirent leurs ateliers de Saintes. Cela permit à Georges Saboureault d'être recruté, comme bourrelier, à l'atelier des voitures et wagons. Il habita Saintes, avec sa famille, jusqu'à la grève de 1920.
Après avoir travaillé sur les quais de Bordeaux au déchargement du blé en sacs en provenance des Etats-Unis, il réintégra les Chemins de Fer, un an après, à Cognac pour environ deux ou trois années, avant de retourner à Saintes, jusqu'à sa retraite chez Gouit, pendant laquelle il a tenu, un certain temps, la recette buraliste de Sainte Ramée.
La SNCF absorba les Chemins de Fer de l'Etat au moment de la nationalisation des autres compagnies, le 1er Janvier 1938.
Marius, en 1928, quitta ses parents pour s'engager dans l'Armée de l'Air.
Il n'est pas allé à l'école à St Ciers. Par contre, il y fit sa première communion, une fête ce jour-là dans la famille. Le curé Chevallereau fit même des compliments sur la toilette de sa mère.
Des deux frères, Jean était, pendant leur adolescence, jugé le plus intrépide. Se jeter du haut d'un pailler, en utilisant un parapluie, au lieu d'un parachute, était l'un de ses amusements préférés. La première fois, ce fut une ombrelle. Elle lui causa, on s'en doute un peu, des désagréments douloureux à l'atterrissage. Marius avait aussi tenté l'expérience. Plus réfléchi et plus âgé, gageons qu'auparavant, il avait évalué et la hauteur du pailler et le diamètre du parapluie.
Jean, par la suite, sauta réellement en parachute.Faute d'avoir atteint l'âge requis, il avait signé un formulaire d'autorisation en imitant l'écriture de son père. Officiellement, il fut déclaré plus jeune parachutiste de France.
Marius, lors d'une de ses premières permissions, avait construit chez Gouit un modèle réduit de planeur. Une cousine, couturière comme sa mère, en avait cousu le revêtement.
Après avoir obtenu son brevet de pilote, il survola St Ciers sur un petit avion d'aéro-club, avec une passagère dont la meilleure amie habitait le bourg. Elle laissa tomber, près de la maison de cette dernière, sur le toit de la grange d'à côté, une lettre ficelée autour d'un caillou. Une échelle fut nécessaire pour la récupérer et sans doute pour changer une tuile ou deux. Cette lettre débutait ainsi :" Je t'écris du haut du ciel...". Phrase dont la naïveté fait sourire, pour ne pas dire plus. Elle paraissait moins ridicule autrefois, et doit être replacée dans son contexte. Toute la jeunesse d'alors révait de "monter" en avion. L'aviation fascinait et était devenue populaire. C'était la grande aventure. Des amateurs commençaient à construire eux-même leurs propres modèles. Les meetings aériens n'avaient jamais été aussi fréquentés. On y applaudissait les spécialistes de la voltige, comme par exemple Marcel Doret. Les femmes y prirent leur part : Maryse Bastié, Hélène Bouché. Le 16 Janvier 1933, Mermoz, sur "La Croix du Sud" avait, le premier, traversé l'Atlantique...
Marius a souvent survolé notre commune. Il disait bonjour aux habitants de chez Gouit, avec un foulard qu'il agitait. Ils eurent droit également à des acrobaties aériennes.
Les grand-mères parlent de lui avec nostalgie. Elles disent qu'il était bel homme et portait bien un uniforme toujours impeccable.
Il semble, selon certains, qu'il était un peu distant et n'acceptait pas trop être contredit, ce qui n'empêchait pas qu'on l'aimait bien, et qu'il avait des qualités de coeur.
Un jeune appelé taillonnais, venant d'être désigné pour servir sous ses ordres, s'en réjouissait. Pas longtemps, car ce n'est pas Marius qu'il eut en face de lui, mais le sergent Paul Saboureault, qui lui apprenait la rigueur et la discipline militaire.
Paul Saboureault avait épousé le 31 Octobre 1946, à Gensac en Gironde, Denise Madeleine Bessière. Elle est décédée depuis environ une quinzaine d'années; on la voyait souvent pendant les vacances. C'était une femme agréable, légèrement réservée, sans doute parce qu'elle ne connaissait pas bien les gens. Elle faisait ses courses dans le bourg et promenait un chien en venant à pied depuis chez Gouit par le chemin direct, actuellement un chemin du désert. Il était alors, des deux côtés, bordé d'une haie où chaque printemps fleurissait l'aubépine.
***
Eva Sala, une jeune stagiaire de la rédaction du journal "Sud-Ouest" à Royan a raconté, dans un article paru le 24 Août dernier, l'Histoire de l'invention du premier planeur français...Pour les personnes qui ne l'ont pas lue, en voici le texte :
Hommage à Paul Saboureault - le planeur ressuscité -
Le royannais Paul Saboureault, récemment décédé, était l'inventeur du premier planeur français. Des passionnés en construisent actuellement une maquette. Présidé par Guy Uriot, l'Avia Histori-Club, détaché de la Fédération Française de Vol à Voile et dont le siège se trouve à Montauban, reconstruit des anciens planeurs Avia. Il rend hommage en ce moment à Paul Saboureault, décédé la semaine dernière à Royan, après y avoir vécu trente ans. Avec deux amis, Joseph Touya et Edouard Bouissières, il est à l'origine de la création du premier planeur en France.
En Septembre 1930, Paul Saboureault, Joseph Touza et Edouard Bouissière, sous-officiers à la base aérienne de Cazaux (Gironde) viennent d'être brevetés mécaniciens par le centre éducatif de mécaniciens aviateurs qui se situait alors à Bordeaux. Ils s'intéressent de très près à un pilote allemand, Kronfeld, capable de voler sur des centaines de kilomètres sans autre moyen de propulsion que les forces internes de l'atmosphère. Cet exploit leur donne l'idée de développer une discipline encore peu connue dans la région, le vol à voile.
Grande aventure ! Les trois amis prennent d'abord contact avec une section de vol à moteur, la première tentative d'introduction de ce sport en France, sous l'égide de l'Avia, présidé localement par Pierre Marie. C'est le point de départ d'une grande aventure durant laquelle ils projettent de construire une machine simple, légère et peu onéreuse, s'adaptant facilement à l'utilisation ultérieure en vol de pente.
Le passage de la théorie à la pratique commence en Septembre 1931, avec l'aide des habitants du village de Cazaux.
La construction de l'engin ultra-léger demande deux ans de travail. Et en 1932, sous l'oeil amusé et médusé de la population locale, le planeur SBT - c'est son nom exact - prend son envol sur la plage de la Salie, propulsé dans l'air par une Harley-Davidson, moto robuste et puissante. Par la suite, les trois associés vont voler régulièrement , progressant en durée et en altitude.
Vers 1991 Paul Saboureault écrira une brève histoire du planeur qu'il avait conçu et construit en 1930 et 1931, avec ses deux collègues du camp militaire de Cazaux .
Début de citation :
Ce que l'on me demande de raconter aujourd'hui s'est passé il y a 61 ans !
Je demande donc à bénéficier d'une certaine indulgence si quelques détails manquent de précision. Cependant, l'évocation de cette aventure aura l'avantage de raviver des souvenirs dont je connais le prix, non pas pour la modeste part qu'elle représente dans l'histoire du vol à voile en France, à ses débuts, mais pour le plaisir de revivre un épisode de ma jeunesse qui a beaucoup compté dans la suite de mon existence.
Tout d'abord, pourquoi trois sous-officiers du Camp de Cazaux, n'appartenant pas au personnel navigant, ont-ils soudain, éprouvé le besoin de voler ?
Nous étions en 1930, Joseph TOUYA, Edouard BOUISSIÈRE et moi, venions d'être brevetés sous-officiers mécaniciens du CEMA (Centre Ecole des Mécaniciens de l'Aviation) de Bordeaux (avec le grade de sergents), quand nous nous sommes pris d'un vif intérêt pour les exploits accomplis en Allemagne par un champion du nom de Kronfeld, capable de voler sur des centaines de kilomètres sans autre moyen de propulsion que les forces internes de l'atmosphère. Sans véritable ambition de gloire, il nous a semblé que nous pourrions, nous aussi, faire quelque chose dans une discipline encore peu connue chez nous : le vol à voile. BOUISSIERE, cédant à son côté esthète, était particulièrement enthousiaste. Il suggéra que nous allions prendre un premier contact avec une section dite de « vol sans moteur », qui venait d'être créée dans la région bordelaise.
AVIA XI A les premiers sauts de puce
des trois jeunes diplomés du CEMA
Il s'agissait d'une des premières tentatives de vulgarisation de ce sport en France, sous l'égide de l'AVIA, dont le représentant local était M. Pierre MARIE. Deux ou trois séances eurent lieu sur un plateau situé sur les hauteurs des « Quatre pavillons », mais elles nous ont amusés plus qu'elles ne nous ont convaincus. L'appareil, un AVIA 11A, était une réplique du planeur école allemand « Zögling », dont il se différenciait par un haubanage souple au lieu de mâts rigides. Quelques lancers au sandow, n'ont donné lieu qu'à des « sauts de puce ». Notre première critique portait sur l'aspect « fer à repasser » de cet engin sans prétention. Pour nous, peu importait qu'il eût été conçu pour des débutants et que sa qualité première dût être la robustesse. Nous étions persuadés que l'on pouvait mieux faire. D'où, une longue série de croquis où l'imagination côtoyait l'utopie? Mais l'idée prenait forme et nous avons évalué nos possibilités globales. TOUYA nous convainquit de ses connaissances d'ouvrier spécialiste du travail du bois. BOUISSIERE, instructeur à l'école technique du Camp, avait acquis ses références dans l'ajustage et le tournage des métaux. Quant à moi, il me fallait compter uniquement sur mes conceptions originales et même un peu « hors-norme », en tout cas, plus que sur mon habileté manuelle.Cela devait aboutir à un projet correspondant aux critères suivants : une machine simple, légère, d'une construction peu onéreuse, susceptible d'être utilisée en version école non carénée, tout en permettant une adaptation facile à l'emploi ultérieur en vol de pente. Cela donnait un ensemble rustique, mais offrant des qualités propres à satisfaire deux phases distinctes de notre entraînement.
Je souhaitais une finesse aux alentours de 12, après carénage, grâce à une aile d'allongement moyen, comprenant une partie centrale rectangulaire prolongée par deux ailes latérales à profil décroissant. Une image me hantait : la poutre longeron caisson, excluant tout haubanage intérieur de l'aile. Le bouquin de MIGNET m'avait marqué !
Partant de là, puisqu'il ne pouvait être question d'une aile en cantilever pur (un luxe interdit), j'imaginai un haubanage en tube « torpédo » disposé en V inversé, prenant appui sur une poutre fuselage de section triangulaire, la partie centrale, au niveau des ferrures d'assemblage des deux demi-ailes, étant supportée par un gros tube de duralumin remplaçant le « carbone » classique (acier au carbone). Vu sous tous les angles, l'ensemble était totalement triangulé et géométriquement indéformable.
Pour des raisons de manque de place, j'avais choisi de scinder l'aile en deux parties, réunies par des chapes et deux grosses broches, offrant de grandes facilités de démontage.
Les calculs de la répartition des efforts ne me causèrent pas trop de soucis, car, en faisant appel à mes connaissances élémentaires de trigonométrie et de mécanique, je pus évaluer à peu près la fatigue des attaches.
Un seul point me chagrinait : l'incidence. Un mât supplémentaire eût, peut-être, été justifié en complément du V, pour tenir la torsion de l'aile. J'y renonçai et jugeai suffisante une contrefiche réglable, attachée, d'une part, à un collier solidaire du mât arrière et d'autre part à la queue de la nervure maîtresse prolongeant les attaques principales des mâts sur le longeron. Ainsi calée, l'aile ne devait pas devait pas avoir à subir de gros efforts du fait d'éventuels déplacements des centres de poussée. Le profil Göttingen 433 adopté était, d'ailleurs, réputé stable.
Ainsi défini dans ses grandes lignes, mon projet fut approuvé par les deux « associés », mais chacun d'eux suggéra quelques améliorations de détail, tels que la commande différentielle des ailerons, le poste de commande monobloc, le patin pneumatique.
Le fuselage poutre est de section triangulaire, et le mât principal de support
des ailes est un tube récupéré d'entretoire d'aile de Bréguet XIV !
Le SBT prêt à l'entoilage.
On voit bien la triangulation de la cabane support des ailes
Tout cela semblait tellement lié à nos impulsions inventives que je renonçais à mettre au net un dossier définitif. Chaque partie du travail était l'objet d'une étude « sur le tas » et seuls, quelques croquis étaient élaborés au fur et à mesure de la progression des idées, tout en restant conformes aux grandes lignes de l'ensemble, dont les cotes devaient être respectées.
Enfin vint l'instant de passer à l'atelier? que nous n'avions pas ! Heureusement, grâce à la complexité des gens du village, nous eûmes la chance d'obtenir le prêt d'un local, appartenant à un menuisier sympathisant. Parallèlement, nous nous mîmes en quête du matériel dont l'essentiel était composé par des feuilles de contreplaqué d'okoumé de différentes épaisseurs, achetées dans le commerce à Bordeaux. Puis nous avons plus ou moins « pillée le parc de la récupé » où nous avons mis la main sur un stock de lattes de spruce de 8 mètres d'un seul tenant, sans compter une large collection de poulies, de câbles d'acier, de sandows et tout le reste, quincaillerie? et colle Certus, fut acheté au cours de nos fréquents voyages à Bordeaux.
Pendant près de deux ans, après la journée de travail au Camp, jusque tard dans la nuit et les dimanches, nous nous sommes consacrés à la construction du planeur, vivant en ermites et sacrifiant nos loisirs et nos économies.
Mais il ne suffisait pas de construire un planeur, il fallait aussi penser à nous en servir.
Dans ce but, nous devions trouver les réponses à deux questions cruciales : Où ? Comment ?
Le terrain militaire étant à écarter, nous avons pensé aux plages du littoral, dont l'accès était libre. Mais la plus proche se situait à La Salie. Pour y parvenir, il fallait traverser sept kilomètres de forêt. Qu'à cela ne tienne. C'est là que nous irons.
Restait le moyen de la propulsion.
Pas question de sandow. Vive le treuil. Il en existait déjà, mais chers et peu maniables pour l'usage que nous voulions en faire. C'est alors que nous eûmes l'idée de la moto. Il fallait de la puissance et de la robustesse. Pourquoi pas l'une de ces vieilles machines pétaradantes que l'on voyait encore circuler à Bordeaux ? Il doit y avoir un moyen de les adapter à la fonction de treuil. Va pour la « Harley Davidson ». Nous l'avons trouvée et achetée à bon compte. Nous avons seulement remplacé le pneu arrière par un bandage en acier à bords tombés, solidement fixé à la jante par des boulons. Quant au câble, les hasards d'une conversation avec des copains aérostiers de Toulouse, nous fit bénéficier de 600 mètres de câble de « captif », à titre de cadeau, un guide-câble et un support repliable, muni d'une planche à crampons, complétèrent la transformation.
Enfin, puisque nous avions décidé de nous installer à La Salie , il fallait prévoir l'abri pour le planeur et utiliser les ressources locales pour notre subsistance. D'abord, construire une baraque, derrière la dune, aux dimensions suffisantes pour recevoir le planeur, ailes démontées. Cela fut fait après de nombreuses démarches auprès des Eaux et Forêts, et de non moins nombreux aller et retour de Cazaux, à travers la forêt, avec le concours d'un muletier du coin, que nous avions engagé pour l'ensemble des transports de matériaux, y compris le planeur et la moto.
Les essais à La Salie
Ce cliché met bien en évidence la forme initiale du volet de gouvernail
Quant à la subsistance, la présence d'une famille de résiniers, habitant sur place, nous fut d'un grand secours, car nous fûmes reçus très amicalement pour le gîte et le couvert, pour une rétribution dérisoire. Et puis vint, enfin, le jour des essais. Sous l'?il amusé de la population locale, constituée à la fois des résiniers et des curieux alertés par la rumeur publique, nous entreprîmes de « tâter » la machine, en effectuant de simples glissades. Le contrôle latéral était parfait et la traction du câble correcte, ainsi que le largage, grâce au crochet à bec ouvrant, commandé par câble Bourdey, sur le manche. Plusieurs séances furent consacrées à cet exercice, en passant à tour de rôle, soit au siège pilote soit à la moto. Je ne jurerais pas que les sourires du public étaient vraiment inspirés par l'admiration? Il fallait, coûte que coûte, abréger ces démonstrations, qui commençaient à nous coller à la peau. Ce jour-là, le vent était faible mais bien orienté, parallèlement à la plage. Planeur monté, câble tendu? les esprits aussi d'ailleurs. Qui va s'asseoir sur ce joli baquet ? C'est à la courte paille que le sort a désigné BOUISSIERE. TOUYA, à la moto, embraya directement en seconde. Dans un léger crissement, le planeur décolla presque sur place, se stabilisa à 5 mètres après n'avoir qu'à peine « marsouiné ». Câble largué, le patin frôla le sable et en douceur, l'engin s'arrêta. Coquetterie suprême : BOUSSIERE continua à le tenir aux ailerons jusqu'à ce que la « galerie » accourût. Cette fois, ce fut le triomphe, « Oum voulat » !... Oum voulat ! » En landais, cela doit vouloir dire : « ils ont volé ».
Par la suite notre association nous permit de passer de bien agréables week-ends, avec une sage progression des vols, comprenant des montées à 200 mètres , avec virage et retour face au vent. Ce « cirque » intrigua beaucoup le milieu sportif bordelais et c'est ainsi que nous eûmes la visite du groupe Fronval, qui comptait, parmi ses membres, des commissaires de l'Aéro-Club de France. Cela facilité l'obtention rapide de nos brevets A et B. Et surtout une collaboration fructueuse avec l'Aéro-Club du Sud-Ouest. PASQUIER, ROPARS, LAGARDE, RIGAL et les autres sont devenus nos amis et cela devait aboutir au transfert de nos activités au Pyla, où nous avons pu garer notre planeur dans le hangar de l'escadrille Mouillard, qui abritait déjà l'AVIA 32 E du groupe Fronval, et, plus tard, un 40 P. La célèbre moto devait y terminer sa carrière, car nos lancers étaient assurés par le treuil Ford du groupe.
Le SBT, très léger, est facilement transporté sur la dune du Pyla
Grâce aux ascendances puissantes de la dune, nous avons même innové, en nous passant tout simplement du treuil ! Notre engin ultra-léger nous permettait de le hisser à bras, jusqu'à une sorte de plateau à mi-hauteur de la dune. Face au vent, il montait presque seul à reculons, maintenu par les mâts. Puis, l'un de nous se « ficelait » et il suffisait de le pousser dans le trou pour que l'ascendance le cueille, quasiment sans glisser. Un article signé Hervé De KERILLIS, a décrit, à l'époque dans « les Ailes », ce mode de lancer original. C'est au cours des vols de pente de plus en plus longs, que nous pratiquions couramment, que nous avons noté une certaine paresse des commandes. Cela nous a semblé résulter de la flexibilité des ailerons, d'une part, et de l'insuffisance de la surface mobile de la gouverne de direction, deux modifications s'imposaient. Les ailerons, jusqu'alors entoilés, furent caissonnés avec du contreplaqué de 1,5 mm , puis la gouverne de direction fut agrandie par une découpe prélevée sur la partie supérieure du plan fixe vertical. Entre temps, la pose du carénage de l'habitacle, avait permis d'améliorer la tenue en virage. Ainsi « toiletté » notre planeur avait une certaine allure et ses qualités avaient nettement progressées. En grand champion, notre ami TOUYA a même réussi des vols de durée, allant jusqu'à 4 h 45.
Notre petite équipe ayant acquis une modeste notoriété, nous eûmes l'honneur de recevoir des visites de personnalités marquantes, telles qu' Eric NESSLER en personne, ainsi que de M. FOSSIER, ingénieur de l'AVIA, venu examiner de près nos bricolages, sans compter les encouragements du directeur de l'AVIA, M. MASSENET. A ce sujet, il me faut revenir un peu en arrière pour situer notre position par rapport aux Services Officiels.
Dès le début de nos essais à La Salie , le Colonel MASSOL, commandant le Camp de Cazaux, s'était ému des risques que nous prenions et nous recommanda deux choses.
D'abord formuler une demande collective d'autorisation auprès du ministre de l'Air, de pratiquer le « vol sans moteur », dans le même esprit que tout autre sport. Cela fut accordé sans difficulté par M. Louis COUCHÉ.
En second lieu, le Colonel MASSOL souhaita que nous lui adressions un compte-rendu, à l'issue de chaque séance. Ce contact avec notre chef de corps fut, pour moi, d'une importance capitale. Voici pourquoi. Curieux de savoir quel était l'intérêt de notre activité, il me posa des questions sur nos intentions et me demanda si nous n'avions pas pensé à devenir pilotes. Sachant que ni BOUISSIÈRE, ni TOUYA n'en avait exprimé le v?u, je répondis que tel était mon but depuis toujours. Je crus rêver lorsque le Colonel me déclara : « Alors qu'attendez-vous pour poser votre demande ? » Bien sûr, j'eus le sentiment de trahir notre vocation commune, mais la réaction de mes amis fut de me pardonner, ce dont je les ai remerciés chaleureusement.
Le SBT modifié : Agrandissement du volet de dérive et carénage du fuselage.
Les ailerons avaient aussi été rigidifiés par un revêtement de contreplaqué.
C'est dans ces conditions que, fin septembre 1932, je rejoignis Istres pour y réaliser le rêve de ma vie.
J'eus l'insigne honneur de sortir d'Istres, major de promotion, en juillet 1934, et cela vint aux oreilles de M. MASSENET, qui me demanda par lettre, de lui exposer mes remarques sur l'aide que la pratique du planeur m'avait apportée dans le pilotage des avions.
Mon analyse peut se résumer ainsi : »Très nette facilité d'estimer la hauteur au dessus du sol, en palier, à l'atterrissage. Mon moniteur, qui avait déjà exprimé mon opinion très critique, à l'égard du vol à voile, en général, a dû réviser sa position lorsque, étonné de la régularité de mes premiers vols en solo, il a appris que j'avais été un pratiquant de cette discipline. En revanche, j'eus quelques réflexes à rééduquer dans l'action des commandes, en virage notamment. En planeur, à cause d'une inertie latérale, généralement liée à l'envergure et d'un lacet inverse fréquent, j'avais pris l'habitude de maintenir trop longuement le gauchissement braqué, ce qui, en avion, aboutissait à « engager » le virage, au lieu de le « soutenir ». Ce détail fut rapidement corrigé avec l'aide des explications de mon excellent moniteur, l'adjudant ABRIAL (rien de commun avec son homonyme très connu des vélivoles).
Ces lignes sont un hommage à deux camarades, Joseph TOUYA et Édouard BOUISSIÈRE
SABOUREAULT BOUISSIERE TOUYA (SBT)
Fin de citation
(sources : http://claudel.dopp.free.fr/Les_planeurs/Descriptions_planeurs/SBT/SBT.htm )
En grand champion, Joseph Touya, a même réussi des vols allant jusqu'à 4h 45.
Aujourd'hui, Jean Nouet, ancien chef d'atelier dans la construction aéronautique, et vice-président d'Avia, tente de reproduire une maquette télécommandée du planeur, avec l'aide du président de l'Arvert-Club, Pierre Delrieux.
Il s'agit d'un modèle unique : il n'en existe aucun plan. Les deux hommes travaillent donc à partir de photos d'archives et redessinent les plans sur ordinateur. L'objectif de cette maquettede quatre mètres de long, c'est de précéder la reconstruction du planeur grandeur nature, soit 13m10 de long.
Inhumation de Paul Saboureault à Royan, au cimetière Monperrier.
Nous sommes jeudi 16 Août 2001, en fin de matinée.
Son ami, le Colonel Gros, s'adresse directement à lui, par delà la mort:
" Adieu mon Commandant.
Une nouvelle vie commence, la vôtre. 93 ans plus tard, jour pour jour, vos amis se réunissent pour vous dire adieu.
Adieu à l'ancien combattant engagé à 20 ans dans l'aviation comme apprenti mécanicien, étape couronnée par le Brevet de mécanicien et le grade de sergent.
En septembre 1930, avec vos amis Joseph Toya et Edouard Bouissière, vous projetez de construire un planeur. En 1932, votre planeur baptisé SBT prend son envol. Cette réussite vous incite à vous inscrire en 1933 à l'Ecole de Formation des s/officiers du personnel navigant à Istres.
Nanti de votre brevet de pilote, vous voilà sergent-chef puis adjudant.
1939: la drôle de guerre vous fait connaître rapidement le baptême du feu au cours des missions de reconnaissance et de bombardement.
Après la qualification de 1er pilote et le grade d'adjudant-chef, votre conduite vous vaut en 1940 une citation à l'Ordre de l'Armée: "Pilote de tout premier ordre, d'un calme et d'un sang-froid remarquable, a eu son avion détérioré par l'éclatement d'une bombe, a continué sa mission sur les lignes et n'a fait demi-tour qu'après avoir constaté la défaillance d'un moteur, a réussi à ramener son équipage indemne et à se reposer avec une roue très détériorée sur un terrain étranger".
Le 14 juin, un épais brouillard est à l'origine d'un accident qui coûta la vie à votre co-pilote et vous laissa vous-même prisonnier de la ferraille avec vos deux avant-bras et votre jambe droite brisés.
Evacué sur l'hôpital de Bourges, vous devez votre vie à l'acharnement d'un chirurgien militaire allemand, qui vous rend, en outre, l'usage de vos membres. Vous êtes décoré de la Médaille Militaire.
Refusant la défaite, 1941 vous retrouve en Afrique du Nord comme pilote moniteur à l'Ecole d'Application du personnel navigant.
1945 vous apporte la barrette d'Officier et vous conduira en Indochine de 1950 à 1951.
Totalisant plus de 3250 heures de vol, vous êtes promu au grade de Chevalier de la Légion d'Honneur avant de prendre votre retraite, mais vous restez au service de divers aéroclubs. D'ailleurs en 1972, J. Claude Girod, Directeur-Adjoint de l'Aéroclub de France, vous écrit: " Je suis très fier de signer une licence au grand pilote que vous êtes".
Il y a aussi l'adieu à l'ami.
Vous aviez tendance à vous présenter comme ayant un caractère difficile. C'est peut-être un peu vrai, mais derrière celui-ci se cachait un coeur d'or. Je n'en veux pour preuve que votre appartenance à de nombreuses associations, que vous souteniez par vos cotisations et par des dons répétés : "Les Vieilles Tiges", "Les Poilus d'Orient", "la Société d'Entraide des membres de la Légion d'Honneur", "l'Association des Médaillés Militaires", "l'Amicale des Anciens Tirailleurs et l'Association des Anciens Harkis".
L'affection que vous portiez à ces derniers remonte à l'accident relaté tout à l'heure; à l'hôpital où vous étiez dans l'impossibilité de subvenir seul aux actes élémentaires de la vie, des tirailleurs hospitalisés vous ont aidé à les assumer. Leur souvenir et le hasard qui vous ont fait connaître l'Amicale du 1er Régiment de Tirailleurs vous y ont fait adhérer, et en son sein vous aidiez ponctuellement l'un ou l'autre de ses membres dans le besoin.
Nous sommes là avec leurs représentants pour vous renouveler leurs remerciements.
La présence des présidents et des membres de ces diverses associations témoigne de l'estime qu'ils vous portent.
Ainsi donc, tous réunis, nous vous disons: " Au revoir mon Commandant".
Un au revoir que nous espérons dans l'au-delà, auprès de Dieu.
Adieu ! Inch' Allah !
P.S : le Colonel Louis Gros sera aussi présent, à St Ciers le 24 Novembre 2004, à la cérémonie organisée pour rendre hommage à Yves Delor (voir page Yves Delor).
Il est décédé dans sa quatre-vingtième année. Ses obsèques eurent lieu à Royan le 22 Juin 2007.
Paul Saboureault devant la maquette en construction
(sources Sud-Ouest du 24 Août 2001)