- Accueil
- Les publications de Jacques Lamontellerie
- L'Abbé Chevalereau
L'Abbé Chevalereau
Printemps 1997
Charles CHEVALLEREAU
|
(curé de St Ciers de 1911 à 1935)
Il fait partie de notre histoire locale.
Cet homme irremplaçable ne doit pas être oublié, et 62 ans après sa mort, il est temps de parler de lui.
Il état né à Pouzauges, en Vendée, le 17 Novemre 1880.
Les Taillonnais et les Taillonnaises de mon âge se souviennent de lui, surtout à partir de 1929/1930, vers la fin de sa vie, puisqu'il est décédé à St Ciers, le 6 Février 1935, à peine âgé de 54 ans.
A cette époque, la télévision n'existait pas et la radio n'est devenue un support privilégié, pour les communications de masse, que vers la fin des années 1920, davantage dans les années 1930. Les premiers récepteurs à lampe n'ont vraiment commencé à apparaitre dans notre commune que vers 1933, et encore y en avait-il très peu.
Nos possibilités d'informations étaient pratiquement celles de la Presse locale, c'està-dire deux journaux. "La Petite Gironde", ancêtre de "Sud-Ouest", et "La France", politiquement plutôt à gauche.
Cette relative ouverture vers l'extérieur, évidemment restreinte par rapport à aujourd'hui, favorisait l'influence que pouvaient avoir les "notables". Il s'agissait de Théophile Méronneau, le Maire, Edith Papaud, Madeleine Drahonnet, les institutrices - on disait "les Demoiselles" - arrivées en 1926; elles furent une chance pour deux générations, nous leur devons beaucxoup, André Bruneteau l'instituteur - un très bon maitre - certains se rappellent encore sa "férule" et en ont gardé le souvenir cuisant - et enfin Charles Chevallereau, Monsieur le Curé !
La maison de ce dernier, une des plus anciennes du bourg, le presbytère -ou la cure- était à l'emplacement de l'actuelle Mairie, elle donnait directement sur la rue.
La façade avait un certain cachet avec ses hautes fenêtres au rez-de-chaussée, surmontées d'une lucarne en oeil de boeuf pour éclaicir les combles. Sa porte centrale ouvrait sur un corridor conduisant à un jardin fleuri en saison, un vrai jardin de curé.
Charles Chevallereau bénéficiait également, près de l'Eglise, d'un terrain assez grand, potager et verger à la fois. Il existe toujours, mais n'est plus cultivé. C'est aujourd'hui l'Aire de Repos.
|
- le voici photographié en 1914 -
De taille un peu plus élevée que la moyenne, l'abbé Chevallereau attirait la sympathie avec son air jovial. On devinait, à travers ses lunettes, l'intelligence de son regard légèrement malicieux, surtout lorsqu'il lissait sa barbe rousse et cuivrée.
Les habitants de la paroisse, de quelque nuance politique qu'ils soients, croyants ou incroyants, s'entendaient avec ce curé bon vivant.
Pour vivre, il était devenu agent d'assurances du groue suisse Winterthur. On racontait que l'Evéché se serait ému de le savoir courant la campagne et dégustant le vin blanc avant de conclure ses contrats. Il l'avait en quelque sorte sommé de pênser davantage à la nourriture spirituelle de ses oualilles. Charles Chevallereau aurait répondu: "Mon assurance me nourrit, mes ouailles ne me nourrissent pas." Effectivement, elle le nourrissait bien. En plus, sabonne était une excellente cuisinière et il invitait souvent des amis à table. Il laissa, à sa mort, une cave riche des meilleurs crus; elle étatt particulièrement bien gournie en Bourgogne, qu'il affectionnait.
Trés peu d'années après son arrivée à St Ciers, il s'affirma dans un acte oecuménique qui surprendrait encore aujourd'hui, en faisant sonner la cloche de son église catholique pour des obsèques protestantes. C'étaient celles de la veuve du Docteur Robert, une femme très aimée et estimée de son vivant.
Elle lui avait dit que le seul regret qu'elle avait de sa religion était qu'aucune cloche ne sonnerait à son enterrement. Charles Chevallereau était donc un curé rtrès en avance sur son temps, puisque ce n'est qu'un demi-siècle plus tard, en 1965, que se terminera la deuxième session de Vatican II, concile qui s'efforça de préparer l'inité des Chrétiens.
Sous le sacerdoce de l'abbé Chevallereau, la soutane était considérée comme le symbole de l'état ecclésiastique et son port une obligation pour les prêtres. Y transgresser pouvait être objet de scandale.
Eh bien, Monsieur le Curé parvint quelque fois à ôter cet habit qui le gênait, discrètement certes, et hors de sa paroisse.
D'abord, sans l'enlever, il faisait en sorte, lorsqu'il le pouvait, que sa soutane ne puisse être trop remarquée. C'est ainsi que dans le bourg, il sautait de sa voiture automobile rouge et souriant sous sa casquette de chauffeur, vêtu d'un long imperméable noir : "Est-ce que tous les badauds que je rencontre en voiture ont besoin de savoir qui je suis ?"
Lorsqu'il "montait" à Paris, Monsieur le Curé se faisait accompagner à Saintes. Sa valise à la main, il entrait dans un café, le Café de Paris, justement, et dont il connaissait le patron. Cet établissement n'existe plus. Quelques minutes après, Charles Chevallereau ressortait, en costume civil. Sur le chemin de la gare, il disait à son chauffeur éberlué qu'il voulait avoir la paix dans le train, laissant entendre que les autres voyageurs se croyaient obligés de lui adresser la parole lorqu'il portait la soutane.
Une fois, il était venu à Paris avec mon oncle garagiste prendre livraison d'une voiture neuve, directement aux usines Citroën de Javel. Il arriva chez mes parents en costume de golf. "Eh oui, Madame, c'est moi, le Curé" dit-il à ma mère stupéfaite.
Ce jour-là, nos deux Taillonnais -lui et mon oncle- devaient en rejoindre un troisième, le fils du Maire, Paul Méronneau, cadre au siège parisien d'une compagne pétrolière. Ils allaient déjeuner à la Rotisserie de la Reine Pédauque, restauranr renommé du quartier de la gare St Lazare.
C'était un curé moderne qui, pour ses déplacements, suivait de près les progrès de la mécanique automobile.
Il est vrai que son portefeuille d'Assurances pouvait lui permettre, portefeuille important puisqu'il eût un secrétaire et qu'à l'occasion il rétribuait des jeunes pour présenter ses quittances dans certains villages.
Lors de son arrivée à St Ciers, il desservait à bicyclette les paroisses de Ste Ramée et de Consac (il fut même un temps se crétaire de mairie de cette dernière commune). Il a été l'un des premiers du secteur, peut-être le premier, à posséder une bicyclette avec moteur (sans rapport avec le vélomoteur conçu plus tard).
En 1923/1924, il fit l'acquisition d'une automobile "Trèfle", une 5 CV Citroën de 856 cm3, avec carrosserie à 3 places. Ce véhicule indestructible n'était brillant ni par ses performances, ni même par son freinage. Pour ces raisons, il acheta vers 1930 une Peugeot 201 de 1100 cm3. Enfin début 1934, il la remplaça pour la petite "Rosalie", une 10 CV Citroën, 4 vitesses. (Cette voiture s'attaqua avec succès au record de longue distance, programme herculéen pour l'époque, et parcourut 301 687 kms à 96 km/h !).
Monsieur le Curé aimait la plaisanterie.
Un marchand, de passage, voulait acheter les deux tableaux de l'église. "Ces peintures ne sont pas à vendre, lui répondit Charles Chevallereau, par contre je vous invite chez moi, au presbytère, où j'ai quelque chose susceptible de vous intéresser". Le marchand accepta. Ils étaient à peine entrés que Monsieur le Curé appela Lucie, sa bonne, qu'il lui présenta : "Tenez, dit-il, voici mon vieux tableau". La pauvre femme était, si l'on ose le dire, d'âge canonique grandement depassé...
Sa dernière Première Communion fin mai/début Juin 1934.
Atteint par la maladie, ile ne fut que témoin pendant l'office,
la messe avait été dite par le Curé de Nieul.
Habituellement, sur ce genre de photo, le Prêtre apparait revêtu d'une partie de la tenue qui'il porte pendant la messe.
L'abbé Chevallereau, assis, est ici seulement en soutane.
Les communiants et communiantes sont (à partie de la gauche):
- en bas: Simone Bourdonneau, Yvette Ladoue -l'abbé Chevallereau- Julia Riché, Odette Drouard
- au milieu: André Combas, Léonel Drouillard, Roger Picoulet, Gabrielle Chasseloup, Roland Poirier, René Combas, Paul Bazin,
- en haut: Albert Feugnet, Jacques Lamontellerie, Raymond Bonneau, André Boursier, Robert Petit, Pierre Mornon, Eugène Vrignaud.
Hiver 1997
La maison du Docteur Blaineau était, à cette époque, celle de Charles Godet, ancien officier, et distillateur. Sa distillerie occupait l'actuel bâtiment du garage Granchère. On disait de lui qu'il était un "original". Certaines personnes du bourg ne lui plaisaient pas. Charles Chevallereau en faisait partie.
Lorsque ce dernier se ravitaillait en essence au garage du coin de la route de St Thomas, Charles Godet, depuis sa fenêtre de chez lui, au premier étage, celle-là même où il fixait le drapeau le 14 Juillet et le 11 Novembre, prenait son sifflet qu'il avait sans doute dû conserver depuis le temps où il était militaire, et n'arrêtait pas de le faire fonctionner. Monsieure le Curé, impertubable, utilisait, lui, le klaxon de sa voiture. Plus l'un sifflait, plus l'autre klaxonnait ! Un long moment après, Charles Chevallereau s'arrêtait, demandait une chaise et s'asseyait près de sa voiture, tandis que Charles Godet sifflait, sifflait...Des badauds arrivaient pour assister à la scène. Lorsqu'il jugeait leur nombre suffisant, Monsieur le Curé, le sourire aux lèvres, s'en allait. C'était très drôle et un tel spectacle nous amusait beaucoup.
Des années auparavant, on me l'a raconté, Charles Chevallereau avait été à son tour la victime d'une plaisanterie. Elle était méchante, il faut le dire, et pas du meilleur goût.
C'était la nuit. Alors qu'il était chez une paroissienne, de grands gamins, trouvant qu'ils'attardait, l'attendirent après être montés dans les branches des tilleuls de la place de l'église, lesquels étaient sur son chemin pour se rendre à la cure. A son passage, ils imitèrent le cri du corbeau, survivance des luttes anticléricales d'autrefois. D'après eux, il aurait couru à toutes jambes jusque chez lui..!
Monsieur le Curé ne dédaignait pas taquiner les personnes dévouées à lui-même et à l'Eglise. Un jour qu'il était à l'épicerie, avec le curé de St Thomas et celui de Nieul, entrent ses deux paroissiennes les plus fidèles. "Voilà mes Saintes" s'écria-t'il. Furieuses, sans un mot, les deux femmes repartirent prestement. Eclat de rire général ! J'étais témoin.
Les chanteuses avaient l'habitude de répéter à l'église. En attendant Charles Chevallereau, elles discutaient entre elles, de choses et d'autres. Une fois, elles parlaient de lingerie féminine. Il avait entendu leurs dernières paroles. Elles s'arrêtèrent net..."Je vous en prie, Mesdames, leur dit-il, continuez, ma présence ne doit pas vous empêcher de terminer ce que vous avez à dire. Lorsque je vous accompagne à l'harmonium, ne suis-je pas, moi-même, votre soutien-gorge?"
Un soir d'hiver, devant un feu de la cheminée, je prenais ma leçon de cathéchisme chez ma voisine. Elle était entourée de sa nièce et d'une amie de celle-ci. Monsieur le Curé arrive et s'assied. "Eh bien ! Puisque tout le monde semble connaitre ses Ecritures, je vais vous poser une devinette sérieuse". Il lissa sa barbe cuivrée, et demanda d'une voie très grave: "Quelle est la première grâce que le Bon Dieu nous a faite ?" Quand tout le monde eût bien cherché, et donné sa langue au chat, il dit pôsément : " Vous ne trouvez pas, c'est curieux; je vous assure que c'est très simple. Allons, je vais vous le dire, et vous tâcherez de vous en souvenir une autre fois : la première grâce que le Bon Dieu nous a faite, c'est de nous coulisser le derrière sans y mettre de galon". Je regardais, effaré, les visages hilares de la nièce et de son amie, et également l'oeil courroucé de ma voisine. Le jovial curé lissa encore une fois sa barbe et sortit, enchanté.
A la mauvaise saison, il s'enrhumait souvent. Les matins froids, il tardait à se lever. Alors, "ses deux saintes" avançaient jusqu'à la cure et heurtaient la porte : "la messe, Monsieur le Curé, la messe ?" Lucie criait, en claquant les volets : "Si c'est pas malheureux, par un temps pareil, de réveiller un homme qui a des bronchites tout l'hiver !" Mais quand il ne suivait pas son régime, et buvait avec ses visiteurs, c'est lui qu'elle morigénait : "Curé d'au diable, allez-vous vous arrêter, vous serez malade, et il faudra que je vous soigne". Alors, il riait d'un gros rire qui secouait sa bedaine: "Tu as raison ma bonne, tu as raison, mais c'est la dernière fois..."
Il aimait beaucoup les enfants et prenait volontiers sur ses genoux les tout-petits, qui souvent lui tiraient la barbe.
Quand j'allais le voir à la cure, il me donnait des bonbons, des dragées de baptême, ou bien me conduisait à la cuisine, auprès de Lucie, en lui demandant de me préparer quelque friandise.
Un dimanche, après Vêpres, quelques camarades et moi-même eurent la bonne surprise d'avoir un goûter servi sur une belle nappe blanche damassée, dans sa magnifique salle à manger d'époque Napoléon III en acajou bordé de noir. Entre le haut et le bas du buffet, sous la crédence, il y avait au centre, bien dissimulé, un panneau, suprême raffinement d'ordre pratique, ouvrant sur la cuisine, à travers la cloison.
Lorsque le soleil brillait à travers les vitraux de l'église, au-dessus du maitre-autel, il arrivait quelque fois que les enfants du choeur, moi-même en particuler, aient envie d'aller jouer au dehors. Si le "Déo Gratias" de la fin de la messe était encore éloigné, ils accéléraient alors le rythme des réponses. Un seul regard de Monsieur le Curé, et tout rentrait dans l'ordre.
C'est qu'il savait se faire obéir ! Il pouvait même être exigeant.
Un matin de vacances scolaires, je dormais encore; il fit irruption dans ma chambre, ouvrit les volets, ramena couverture et drap au pied du lit: "Allons, debout! J'ai un enterrement à onze heures et il me faut un enfant de choeur". J'obtempérais, évidemment, mais je n'avais guère apprécié.
Il élevait rarement la voix. Je ne l'ai vu en colère qu'une seule fois, un jeudi matin, jour de repos des écoliers, et jour de catéchisme. Il officiait face à l'autel, entouré de quatre enfants de choeur, Roland, Albert, Robert et moi. L'assistance, peu nombreuse, était celle des jours de semaine, quelques femmes pieuses, certaines relativement âgées, et les enfants sur les bancs du cathéchisme. L'ordinaire de la messe se déroulait calmement, avec ferveur, l'exercice de la foi dans sa pleinitude et sa simplicité. Soudain, pour une raison sous doute de peu d'importance puisque nous l'avons oubliée, une crise inextinguible d'hilarité secoua les enfants de choeur. En plus, pour une légère bourrade que je lui avais donnée en passant près de lui, alors que je descendais l'autel, Robert se mit à pleurer. Il est vrai qu'il avait la glande lacrymale facile. Albert et moi lui faisions signe de s'arrêter. Quant à Roland, il fut tellement troublé que, sans s'en rendre compte, il avait inversé l'ordre de présentation des burettes. Lorsque Monsieur le Curé s'en aperçut, il était déjà trop tard. Le vin avait, en grande partie, été utilisé au lieu et place de l'eau, la célébration de l'Eucharistie n'était plus possible.
Monsieur le Curé, visiblement furieux, rassembla les objets du culte et nous fit signe de le suivre à la sacristie. Après nous avoir fait ôter notre tenue d'enfants de choeur, surplis blanc et soutane rouge, il nous envoya rejoindre, sur les bancs du cathéchisme, les autres enfants. Un long moment s'écoula. Nous étions inquiets.
L'abbé Chevallereau avait dû, seul, reprendre sa messe à la sacristie.
Lorsqu'il revint, nous eûmes droit, tous les quatre, à un sermon dont les paroles et la tonalité étaient bien différentes de celles qu'il avait l'habitude de prononcer lorsqu'il montait en chaire. Nous avions faussé le sens de la messe, c'est surtout ce que nous avions retenu. Sans bien comprendre ce que cela voulait dire, nous savions cependant que c'était très grave. Celà était suffisant pour ne plus recommencer.
Printemps 1998
Nul ne peut prétendre avoir l'exclusivité des histoires du curé Chevallereau. Chaque personne qui se souvient de lui a les siennes. On pourrait écrire un livre, tant elles sont nombreuses.
Pour ma part, j'ai terminé celles que j'estimais devoir raconter pour le faire connaitre.
En supposant qu'il soit possible d'admettre de séparer les deux aspetcs de son personnage, le curé d'une part, l'assureur de l'autre, je dirais que la suite de ce récit concerne l'agent d'assurances Charles Chevallereau, le prêtre n'est pas en cause !
Lors des deux années qui précédèrent son décès, la situation de son portefeuille était loin d'être aussi brillante qu'auparavant. Il avait dû réduire sérieusement son train de vie.
C'est alors que se produisit, dans le bourg, un évènement qui, d'une certaine façon, l'amena au déclin.
En 1933, une nuit de novembre, la population fut réveillée par le tocsin : la boulangerie Noël brûlait.
Beaucoup avaient encore les yeux lourds de sommeil. La veille il y avait eu sous les Halles - aujourd'hui la Salle des Fêtes - une séance de cinéma. Le film avait pour titre : "Accusé, levez-vous !".
Le bâtiment se trouvait au bout du chemin du porche situé au 16 de l'avenue de la République, sur la gauche, dans le tournant.
A peine sorti de chez moi, je vis les flammes qui s'élevaient au-dessus du toit. Une voisine, en chemise de nuit, paniquée, criait : "Au feu, au feu !". Les gens accourraient de toutes parts.
Pour essayer de circonscrire l'incendie, on organisa une chaine avec des seaux, depuis la pompe fixée dans un mur du porche. Certains avaient apporté des échelles. Charles Chevallereau reçut malencontreusement un plein contenu d'eau sur la tête alors qu'il se tenait au pied de l'une d'elles.
Devant l'ampleur du sinistre et les moyens dérisoires que l'on avait pour le combattre, Louis Violeau, avec la voiture de son patron, le garagiste Justin Simon, alla prévenir les pompiers de Lorignac. Il dut d'abord trouver la maison du Maire, le réveiller et ensuite, avec lui aller réveiller chaque pompier - (il faut se rappeler que l'usage du téléphone était encore peu répandu). La seule prise d'eau possible était le Taillon. Quand le matériel de lutte contre l'incendie fut opérationnel, tout avait brûlé !
Trois personnes dormaient cette nuit-là dans le bâtiment de la boulangerie. Etienne Noël, un fils du boulanger, réveillé par des bruits bizarres de craquement, prévint les deux autres et se précipita vers le fournil. Lorsqu'il en ouvrit la porte, tout s'embrasa du fait du courant d'air. Il eut de sérieuses brûlures à la main droite. A part lui, heureusement, aucune victime ne fut à déplorer.
La bâtisse était vétuste et la propriétaire n'avait pas fait entreprendre de réparations depuis longtemps. Cette dernière voulant sans doute faire sous-évaluer les risques d'incendie pour toucher une indemnité plus forte, demanda à Charles Chevallereau, l'assureur, de proposer à son locataire, Anselme Noël, un compromis - on ne sait lequel -; toujours est-il que celui-ci fut très choqué par ce qu'on voulait lui faire faire et qu'il refusa.
Insidieusement, le bruit se répandit que le boulanger, ou quelqu'un de sa famille, avait volontairement mis le feu pour encaisser l'argent de l'assurance.
Il y eut dans le bourg, pendant un certain temps, une atmosphère désagréable. Le malaise persista jusqu'au jour où Charles Chevallereau fut convoqué à la Gendarmerie.
Le Brigadier Laclau, avec ses gendarmes, avait mené sa propre enquête sur l'origine de l'incendie. Celle-ci concluait à une cause accidentelle qui fut confirmée d'ailleurs par l'Expert de l'Assurance.
Beaucoup se posèrent des questions sur l'attitude de l'assureur Charles Chevallereau dans cette affaire. On fit des rapprochements avec quelques dossiers litigieux pour lesquels certains de ses clients, à la suite d'un sinistre ou d'un accident, n'avaient pas reçu le remboursement qu'ils étaient en droit d'attendre de la part de la Société Winterthur.
Ne pas évoquer celà serait malhonnêt vis-à-vis des familles qui ont subi un préjudice certain. Beaucoup de celles-ci aujourd'hui - ou leurs descendants - n'ont pas oublié.
Charles Chevallereau perdit la confiance d'une grande partie de sa clientèle. Sa situation financière devint extrêmement difficile.
L'année d'après, dans un virage de la Montée-Blanche - la route était moins droite qu'actuellement - il eût un accident d'automobile, causé par une attaque cérébrale dont il ne se releva jamais.
Ce n'était plus qu'un pauvre homme délaissé. Peu venaient le voir en effet. Il s'en plaignait.
Tout compte fait, la majorité de la population lui pardonna. Monsieur le Curé Charles Chevallereau eut beaucoup de monde à son enterrement.
|
Une petite fleur - ellle est artificielle bien sûr - s'épanouit en permanence sur sa tombe, à même le sol, au pied de la croix du cimetière. Elle est aussi discrète que celle qui l'a déposée là. Il s'agit de sa paroissienne la plus fidèle, après tant d'années. Elle est âgée de près de 90 ans. Son anonymat doit être respecté !
La vocation sacerdotale de l'Abbé Charles Chevallereau avait été, pour une grande part, "forcée" par sa famille.
Il fit, un jour, cette confidence.
Qu'il repose en paix !
P.S: Plusieurs personnes ont bien voulu m'apporter leur propre témoignage sur Charles Chevallerau et son époque. Elles m'ont beaucoup aidé. Je les en remercie.
Jacques Lamontellerie