ASTERIX à SAINT CIERS
- conte taillonnais santon -
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clin d'oeil à Mélancolie Motte, notre conteuse de St Bonnet.
C'est une déferlante.
l'après-midi, le soir, les Contes du Festival de l'Air du Vent sont partout, au lavoir, dans les cours, à l'intérieur des maisons. Partout à la fois.
La nuit, ils se rejoignent et envahissent l'Aire de Repos.
Ils sont heureusement retenus par un grand feu. Ils dansent, dansent, caracolent, virevoltent dans des gerbes d'étincelles, cabriolent, tourbillonnent au dessus des flammes.
C'est une déferlante.
Lorsque le feu vient à s'éteindre.., plus de convives, plus de contes...un désert.
Nous sommes à Saint Ciers du Taillon, le dimanche 29 Juillet 2007, quelques minutes avant 3 heures du matin. Il fait très chaud.
Portés par le vent de l'Aire du Vent, les embruns de la déferlante, par un velux entrouvert, ont tous pris le chemin d'un grenier du centre bourg. Dans la chaleur de la nuit, ils se sont évaporés, à l'exception d'une petite goutte d'eau. Elle brille isolemment sur la couverture d'une vieille B.D., en fragile équilibre, et sans doute oubliée par un enfant ingrat, au coin d'une étagère.
Cette petite goutte d'eau est une graine de conte.
Il commence au fur et à mesure que la vieille pendule de la chambre du dessous égrenne 3 heures.
1 heure sonne: Plus de goutte d'eau. Elle n'a pas résisté à l'air chaud, le fragile équilibre est alors rompu. La B.D, depuis le coin de l'étagère, tombe sur le plancher. Elle tombe à plat, et fermée.
2 heures: La B.D. s'ouvre en son milieu.
3 heures: La couverture de la B.D, ainsi ouverte, reste bien à plat, mais les pages se maintiennent toutes en position verticale, au milieu...puis rien !
Un instant d'arrêt, un instant de réflexion, peut-être.
Soudain, le vent de l'Air du Vent souffle en tempête sur les pages de la B.D. Elles grandissent, grandissent jusqu'à être de la taille d'un homme. Elles s'agitent.
C'est ainsi, dans un brouhaha assourdissant de papier froissé, qu'Astérix se bat avec les pages et sort de la B.D.
Hébété, il s'étire, se frotte les yeux, réalise qu'il est arrivé chez les Taillonnais.
Il se souvient qu'il était dans sa hutte, lorsque le vieux Druide est entré.
"Astérix, mon garçon -lui a dit le vieux Druide-, j'ai besoin de toi. Tu vas partir en SANTONIE, ches les Taillonnais. A mon âge, je n'ai plus la force d'entreprendre un tel voyage.
Les Taillonnais sont chers à mon coeur depuis le temps de ma jeunesse. A cette époque, j'avais participé chez eux à un immense rassemblement druidique, dans un lieu magnifique, appelé la Plaine de Couis. Nous étions plusieurs milliers.
L'accueil des Taillonnais fut pour nous extrêmement chaleureux.
Les jeunes Taillonnaises n'avaient pas hésité à franchir nos rangs pour nous désaltérer d'une eau fraiche et bienfaisante. C'était l'été.
Elle provenait d'une source de la plaine, la première des nombreuses sources du Taillon.
Il y a peu - c'est toujours le vieux Druide qui parle - j'ai reçu la visite d'un confrère arrivant de chez les PICTONS. Là-bas, au cours d'un entretien entre amis, on lui avait dit que les habitants des "Saint Cyr" santons avaient tous perdu l'identité de leur village. Ils ne s'appelaient plus "Saint Cyr" mais "Saint Ciers".
Je suis très angoissé pour les Taillonnais. Perdre l'identité de son village, c'est perdre l'âme de son village. Il y fait moins bon vivre".
La première lueur de l'aube surprend Astérix dans ses pensées. Il bondit à travers le velux, et d'un toit à un autre plus bas, descend, saute dans la rue.
D'instinct, Astérix sait où il va. Il va rejoindre St Cyr, l'identité perdue des Taillonnais.
Il longe l'église St Cyriaque, côté bourg, mais ne s'arrête pas.
St Cyriaque n'a jamais été le nom du village des Taillonnais. A l'évidence, il ne concerne pas leur identité.
Il tourne à gauche et descend en contrebas de l'église.
Lorsqu'il atteint le sol de l'Aire de repos, une agréable fraicheur lui caresse les chevilles. C'est un souffle léger provenant de la base du terre-plein qui borde l'église, par derrière.
Cet endroit est au niveau des fondations, les mêmes que celles de l'église précédente, celle de St Cyr.
Elles n'ont jamais disparu, bien qu'elles supportent aujourd'hui les murs de l'église St Cyriaque. Elles constituent la marque de l'identité des Taillonnais; c'est comme une plaque où serait gravé le nom de St Cyr.
L'instinct d'Astérix ne l'a pas trompé; il comprend que l'Aire de repos des Taillonnais est un lieu où souffle sur lui l'Esprit de St Cyr.
Le souffle s'étend sur toute la surperficie de l'Aire de repos, et également sur le Taillon, un peu en arrière.
C'est St Cyr sur le Taillon.
"St Cyr sur le Taillon ? Quel beau nom ce serait pour l'identité retrouvée du village des Taillonnais" se prend à rêver Astérix.
Mais le temps s'écoule; il doit repartir et suivre les instructions du vieux Druide.
En petites foulées, par la route du cimetière il rejoint la côte du Pain Bénit et va jusqu'à la Croix.
Côté levant, des marbrures roses embrasent le ciel sur un horison vermeil, le disque rouge du soleil s'élève peu à peu.
Tout s'éclaire. "celà s'appelle l'aurore ".
Astérix se retourne pour contempler la vallée du Taillon.
Ile ne la voit pas. IL est monté trop haut. Il quitte la vieille croix de pierre, redescend et va s'assoir un peu plus bas sur une touffe d'herbe isolée, perdue au milieu d'un champ.
Il contemple la vallée. Le soleil la redessine peu à peu en faisant disparaitre la brume.
Astérix ne comprend pas pourquoi l'esprit de St Cyr ne souffle plus sur les Taillonnais, sur cette si jolie et verte vallée.
Quel crime ont-ils commis, eux et les pauvres St Cyr santons pour s'appeler "Saint Ciers" ? Tant qu'il ne le saura pas, sa mission auprès du vieux Druide n'aura pas été remplie.
Comme il sait le faire pour ses Dieux Gaulois, il invoque St Cyr. C'est alors qu'il entend, à la fois proche et lentement, tinter la cloche de Taillonnais. "Elle verse dans l'air quelque chose de calme, de doux et de mélancolique". C'est l'Angélus.
Astérix est sous le charme.
Brusquement, un déclic, une compréhension totale se produit en lui !Un miracle !
Il sait tout :
Les habitants des six Saint Cyr santons ont perdu l'identité de leur village par excès d'amour pour l'enfant St Cyr.
Ils ont agi en parents possessifs.
Dans leurs pensées..."et que je te cajole, et que je te dorlote, et que je t'embrasse...". Ils ont oublié qu'il fallait seulement l'adorer, ne pas le toucher, que sa personne était sacrée.
Ils se sont comportés comme le font des enfants avec un petit chat. A le serrer trop fort, quelques fois " le petit chat est mort" mais c'est tout de même assez exceptionnel; par contre il devient rachitique,malingre.
Il l'appellent avec des petits mots gentils, ils minaudent, c'est ainsi que par une dérive de leur langage, St Cyr est devenu St Ciers.
St Ciers n'est rien d'autre que St CYR désacralisé.
L'esprit de St Cyr n'est revenu, chez les Taillonnais, que bien plus tard.
Plusieurs siècles après cette période néfaste ! Ils en avaient même oublié jusqu'au propre nom de St Cyr lui-même.
Il leur est revenu, indirectement, apporté par les 300 St Cyr et plus de la Gaule hexagonale. C'était pendant la première année du deuxième millénaire. Bien trop nombreux pour être là tous à la fois, ils avaient envoyé une délégation composée de quelques personnages éminents et de grande érudition. Ils n'ont pas eu grande peine à convaincre les Taillonnais que leur véritable édentité était St Cyr, pas St Ciers.
Depuis cette visite mémorable, on se voit, on se revoit, on se reçoit mutuellement entre les St Cyr et les Taillonnais. C'est du délire.
Euphoriques, les Taillonnais sont mêmes devenus membres de l'Association des St Cyr de la Gaule hexagonale, alors qu'ils n'ont pas pris le nom de St Cyr, et conservent celui de St Ciers; comprenne qui pourra. Ils ont suivi le chemin des St Cyriens, pas celui de St Cyr.
Astérix n'est qu'à demi-surpris. Il l'avait vu, lui, ce chemien entre le Pain Bénit et La Croix. Ce n'est pas pour rien que le vieux Druide lui avait tracé un itinéraire précis.
Ce chemin de St Cyr est rempli d'herbes. On y voit seulement une pauvre petite cagouille taillonnaise à peine bordée. Elle broute avec délice et dans l'insouciance. Elle est là. Elle est bien et ne sait même pas où elle va, si toutefois elle va quelque part.
Astérix ne l'a même pas regardée, sinon il aurait remarqué quel beau brin de cagouille elle était, non un vulgaire escargot.
C'est tout de même la plus belle de toutes les cagouilles de la Communauté des Communes ! Avec sa coquille luisante, quelle allure ! Quel maintien!
On peut tout de même s'étonner de voir, en plein été, une cagouille belle comme par un jour de pluie. Mais nous sommes dans un conte; tout est permis. Nous n'en sommes pas à un détail près.
Pensant au vieux Druide - il l'aime bien, ce vieux Druide - Astérix se prend à espérer un prompt retour de St Cyr chez les Taillonnais.
Soudain la brume monte au-dessus de la vallée et comme un diable sorti de sa boite émerge un étrange personnage.
Il esquisse un début de sourire et agite une petite cloche. Le son se fait entendre jusqu'au dessus du Pain Bénit. Il ne fait pas drelin, drelin comme celui de toutes les autres cloches, mais glin glin. C'est Saint Glin Glin. Ce qui veut dire que "ST CIERS du Taillon" changé en "ST CYR sur le Taillon", ce n'est pas pour demain.
D'un revers de la main, Astérix chasse rapidement cette vision.
Il regarde la vallée. Au dessus du Taillon, il croit apercevoir, il en est même certain, un enfant de 3 ans, un beau petit enfant, auréolé de lumière. Il est assis sur un rayon de soleil. Astérix sait que ce merveilleux enfant, le vrai bonheur des Taillonnais, c'est Saint Cyr.
Il sort de son rêve et complètement éveillé, il aperçoit Obélix qui monte la côte du Pain Bénit.
Heureux et sifflotant, il part très vite à sa rencontre.
Tous les deux, avec la plus grande discrétion, retournent au grenier de leur B.D.
Personne n'a pu les voir, à l'exception, toutefois, du coq du poulailler voisin qui, tout de suite, les a reconnus lorsqu'ils étaient sur le toit, près du velux entrouvert. Il les a salués d'un cocorico retentissant. Rien d'étonnant à celà, son lontain ancêtre était un coq gaulois.
P.S: réalité ou fiction ? St Cyr est bien là, chez les Taillonnais. Preuve en est l'enveloppe ci-après que j'ai eu la surprise de recevoir, ainsi que d'autres. Elles me sont adressées à St Cyr du Taillon. Elles sont bien parvenues à leur destinataire.
Le velux est fermé. Le livre de la B.D. est fermé.
Le conte est terminé.
Note: Les dessins sont de Paul LAMONTELLERIE (mon neveu).
Jacques LAMONTELLERIE