Lavandières ou laveuses

 


Petite page d'Histoire autour de notre Lavoir

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Lavandières et Laveuses

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Avec l'aide et les conseils de Jean-Paul Ovide, pour la charpente et la menuiserie, et de Raymond Combas, pour la maçonnerie et la pose des tuiles - deux taillonnais du métier -, d'autres bénévoles, et de Maurice Rousseau, employé communal, les jeunes des Chantiers Internationaux, garçons et filles, ont avec succès et à la satisfaction de tous, en Juillet 2005, restauré notre lavoir.

 

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Cette restauration, faite dans un certain enthousiasme, procède de la sauvegarde et de la conservation de notre patrimoine.
Sauf catastrophe naturelle, la survie de notre lavoir, âgé de 128 ans, est ainsi assurée pour environ un siècle. Il appartiendra, ensuite, aux générations futures de prendre la relève.

Les lavoirs, espaces protégés, sont apparus, semble-t'il, à la fin du XVIIème siècle. Leur multiplication date du XIXème, avec le développement de l'hygiène.
On lave d'abord le linge dans les mares et les rivières, sans être à l'abri du soleil ou des intempéries.
Avant notre lavoir municipal, nous avions déjà le lavoir du village de La Fontaine. La fontaine, d'où il tire son nom, est une source protégée par une jolie petite construction en pierre, elle alimente le lavoir tout à côté. Il est à ciel ouvert, à proximité, et en amont, se trouve un abreuvoir.Il en est de même pour notre abreuvoir municipal, situé avant le pont, tout près de notre lavoir du même nom.
Sous l'occupation, au début des années 1940, les soldats allemands lavaient les chenilles de leur véhiciles blindés en allant par le cours du Taillon, d'un abreuvoir à un autre. Triste souvenir pour celles et ceux qui ont vécu cette époque.
Il n'est pas rare de découvrir des abreuvoirsen amont des lavoirs.Les troupeaux y venaient se désaltérer, le plus souvent à la tombée du jour.

Pénible tâche que celle de laver et battre le linge.
Les femmes restaient agenouillées, des heures durant, dans un "garde-genoux". Le mot est régional. En Bourgogne, par exemple, ont dit un "carrosse". C'est une sorte de caisse garnie de paille ou de coussins.
Lorsqu'elles étaient trop fatiguées, nos taillonnaises faisaient une pause pour se détendre. Elles s'asseyaient sur une marche du petit escalier contruit au pied de la rampe du pont, ou bien sur une brouette à linge, ou ailleurs, là où elles le pouvaient.
Dans quelques vieux lavoirs, plutôt du genre cossu, on trouve, à cet effet, des bancs de pierre, placés en périphérie.


A une certaine époque, beaucoup de femmes avant même d'arriver le matin au lavoir, étaient fatiguées de la veille. Elles avaient coulé le linge tout l'après-midi. C'était au temps de la "bujhée".

Le lavage du linge était un rite ancestral.
De façon générale, la grande lessive, la"bujhée", se déroulait, en principe, trois fois par an; elle pouvait durer jusqu'à trois jours, avec des opérations bien programmées et seulement lorsque les travaux des champs n'accaparaient pas les femmes.
L'opération la plus pénible était le coulage du linge. Elle consistait, avec un récipient muni d'un long manche, à prendre l'eau bouillante du chaudron et la verser sur le linge entassé dans le "bughour" avec un sac de cendre. l'eau passait à travers la cendre et le linge, et revenait au chaudron...et ainsi de suite.

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un "bujhour" en pierre flanqué de la "poêloune"
au village de la Fontaine

Vers 1910, la lessiveuse métallique, avec son champignon qui remonte, fit son apparition et libéra la ménagère de ce travail épuisant du coulage.

Lessive Lessiveuse et savon 2

Lessiveuses, battoirs, la planche à battre et le savon

Le savon et les détergents (cristaux de soude) remplaceront les cendres, mais, il fallait toujours et frotter et taper le linge.

Un mot sur le séchage.

La précédente propriétaire de la maison située dans le bourg, au coin des rues Yves Delor et Louise Robert, qui habite tout près de Paris, Madame Bertrand, née à St Ciers en 1909, se souvient avoir vu, par beau temps, draps et linge étendus sur les prés , face au lavoir.
A l'ultime période de la "bujhée", dans ma petite enfance, la famille d'Aline Méronneau, par la suite Madame Frugère, étalait les draps dans son pré, non loin du cimetière, là où Monsieur et Madame Mahuas ont actuellement leur piscine. Le linge était étendu tout autour, sur les haies, les "palisses" disait-on.

Aujourd'hui, à St Ciers et partout en France,les femmes qui lavaient le linge sont appelées "lavandières".
Autrefois, à St Ciers et dans d'autres régions, mais pas partout en France, leur nom était "laveuses".
On les appela ainsi jusqu'à la fin de l'activité des dernières, vers 1960, bien qu'à ce moment-là plus personne n'ignorait le mot 'lavandière".

 

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Les battoirs se sont tus, les rires des laveuses aussi.
Comme tous les autres, notre lavoir est désert,
mais la machine à laver a complètement libéré les femmes.

 

On m'avait appris, lorsque j'étais adolescent, que pour parler bien, il fallait dire"lavandière" et que "laveuse" était du patois saintongeais.
C'était ignorer l'histoire des mots "lavandière" et "laveuse", tous deux français.
A l'origine, en France selon la région où l'on habitait, on utilisait soit le mot "lavandière" soit le mot "laveuse".

"Lavandière" apparait en 1180. Il concerne plutôt le secteur méditerranée; on le trouve ailleurs aussi.
"Laveuse" apparait vers 1390. Il concerne plutôt notre région, on le trouve également ailleurs aussi.

Il est sûr qu'à St Ciers, le jeune Alain Bugeaud, arrivé en Acadie vers 1690, employait le mot "laveuse". Preuve en est qu'aujourd'hui, au Québec, une "laveuse" est un lave-linge.
On disait "laveuse" en Saintonge mais aussi dans tout le Poitou-Charentes, et à Nantes et encore plus au nord et ailleurs.

Le poête Paul Verlaine, né à Metz en 1844, décédé à Paris en 1896, utilisait le mot "laveuse" souvent. En 1890, dans "Dédicaces" il écrivait : "c'est une laveuse au lavoir, tapant ferme et dru sur la lessive.

Le peintre Pierre Auguste Renoir, né à Limoges en 1841, décédé à Cagnes sur mer en 1919 avait peint à Chatou, dans un île de la Seine, maintenant "l'île des impressionnistes", des "laveuses" alors qu'il habitait Paris.

 

Les laveuses de renoir
Les Laveuses (1912)

 

Lorsqu'il vivait dans le pays des lavandières, il avait cependant intitulé un tableau "Laveuses à Cagnes".

Comme on a pu le voir, "laveuse" n'était pas un mot réservé à notre seule région. Les exemples abondent. Toutefois, il semblerait que le mot "lavandière", au fil du temps, ait de plus en plus grignoté le mot "laveuse". Il en fut ainsi jusqu'en 1954.
L'année suivante, en 1955, à la suite d'un effet de mode, un tsunami déferla sur la France.
Les "laveuses" ont été totalement submergées. Cet effet de mode fut provoqué par une chanson "les Lavandières du Portugal" éditions Paul Beuscher, auteur Roger Luchesi, compositeur André Popp.
Pour être modernes, les jeunes taillonnais firent comme les autres, ils n'avaient à la bouche que le mot "lavandière".

Exit nos "laveuses"!

Se référant au nom de la rue des lavandières, nos ados, qui ne se posent pas la question, ce n'est pas tellement de leur âge, sont naturellement persuadés que les femmes qui exercaient à notre lavoir l'art de laver le linge étaient des "lavandières".
Il suffit de les interroger.
Lorsque ces ados deviendront des anciens, les plus âgés d'entre nous ne seront plus là pour témoigner que ces femmes étaient nos laveuses. Elles auront alors perdu leur propre identité, à laquelle elles ont droit. Elles s'enfonceront dans l'oubli.

Si, face au souvenir de ces taillonnaises vaillantes, nous voulons éviter la disparition, à terme, de leur identité, une seconde mort pour elles, nous ne pouvons rien faire d'autre qu'appeler "rue des laveuses" la rue des lavandières.

Nous venons de redonner au lavoir l'image qu'il avait autrefois. Dans le paysage de notre mémoire, nos pourrons ainsi compléter cette image en y replaçant celle de nos laveuses.
Ce serait un plus à la restauration de notre lavoir.

"Laveuse" est un mot de notre vérité historique locale.
Il est de notre terroir, de notre culture, de notre patrimoine.

Le patrimoine des lavandières, qui ne sont pas les plus mal servies est ailleurs. Il est là, où en saison, et beaucoup plus que chez nous, fleure bon la lavande. Il y en a des champs entiers.

Assurer la survie de l'identité de nos laveuses procède également, comme celle de notre lavoir, de la sauvegarde et de la conservation de notre patrimoine, ou plus exactement, de notre patrimoine culturel.

 

Jacques Lamontellerie

 

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