Double crime en 1907

 

 

Un double meutre a été commis à Saint Ciers du Taillon, chez Jouet.........le 29 Décembre 1907

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Les époux BRICOU ont été assassinés. Ils avaient 52 ans.

Le Parquet de Saintes, composé de M.M. SAUVAGET, procureur de la République, FLANDRAY, juge d'instruction et REIGNIER, commis greffier, s'est transporté sur les lieux du crime.

Le Docteur CHEVALIER, appelé à procéder aux premières constatations, avait refusé le permis d'inhumer, après examen des victimes.
Le Docteur DESBROUSSE, médecin légiste, a fait sur les lieux l'autopsie des cadavres.

Le malheureux BRICOU a succombé à une hémorragie abondante due à un coup de feu qui lui a sectionné une artère. Il a survécu cependant quelques minutes à ses horribles blessures. On a retrouvé dans les plaies les bourres et les grains de plomb encore agglutinés par le sang coagulé. Les coups ont été tirés presque à bout portant, dans le côté gauche de l'omoplate. Des grains de plomb étaient venus sortir à la hauteur du sein, fracturant les côtes.

Son épouse a reçu un coup de fusil tiré de loin, par derrière, traversant le corps en biais et perforant un poumon. On a retrouvé, non loin de son cadavre, une lanterne, son mouchoir, son manteau et également tout près, le bâton dont elle avait l'habitude de se servir pour marcher.

Quant à BRICOU, il tenait encore dans sa main crispée le manche cassé de son parapluie.Chose extraordinaire, la blouse qu'il portait n'est pas percée. C'est sans doute l'assassin lui-même qui l'en a revêtu après l'avoir tué. Le fait qu'il n'ignorait pas l'existance de cette blouse semble indiquer que lui et les époux BRICOU se connaissaient. Il peut y avoir là un signe de préméditation.

BRICOU avait vendu, quelques jours auparavant, pour 300 francs d'avoine et, la veille à la foire de Mirambeau, huit paires de poulets, pour environ 50 francs.
Il avait sur lui 23 francs.
Une montre en or et une autre en argent n'ont pas été volées au domicile des BRICOU, qui cependant fut bouleversé. On n'y a trouvé aucune somme d'argent.
Tout le monde s'accorde à dire que les victimes pouvaient avoir quelques économies, mais peu, tout au plus 100 francs.
BRICOU, foncièrement bon et confiant, recevait cordialement le premier venu, et au besoin le laissait seul dans la maison, sans méfiance aucune. Il prétendait qu'il n'avait rien à craindre des malfaiteurs, étant pauvre comme un rat.

Revenu de la foire de Mirambeau, en compagnie de plusieurs voisins, il passa la veillée chez lui, avec la famille DROUARD et se coucha vers dix heures.

Les époux BRICOU, très unis, doux et serviables, étaient entourés de l'estime générale, incapables de faire mal à qui que ce soit. On ne leur connaissait pas d'ennemi.
Le crime ne peut donc pas être attribué à une idée de vengeance, mais bien plutôt à un vol.

Ce qui est certain, c'est qu'il y a bien eu préméditation. L'assassin a utilisé un subterfuge pour amener les malheureux sur la route (ce que précise leurs actes de décès) vers deux heures du matin..

 

Acte deces antoine bricou Acte deces flavie cosson epouse bricou
leurs actes de décès

 

 

S'il avait commis son forfait à leur domicile, il aurait risqué en effet d'attirer l'attention des voisins.
Il ne peut être qu'un familier des BRICOU pour leur tendre ainsi un véritable guet-apens, dans le milieu de la nuit.

Il résulte de l'autopsie que le mari avait mangé une demi-heure avant sa mort, alors que le repas du soir de son épouse était déjà digéré.
On a trouvé chez eux, sur la table, deux verres, deux fourchettes, du pain et une bouteille de vin. Cela indique, qu'avant de suivre, avec son épouse, celui qui, sous un fallacieux prétexte, était venu les chercher, BRICOU avait auparavant invité l'assassin lui-même, qui avait accepté, à casser la croûte.

Si l'on rajoute que BRICOU et sa femme s'étaient auparavant correctement vêtus, on en arrive à conclure qu'un prétexte impérieux fut invoqué pour les décider à venir.

On a des soupçons et les magistrats sont sur une piste sérieuse.

Lors des obsèques des infortunées victimes, l'église était trop petite pour contenir ceux qui étaient accourus, même des communes avoisinantes, pour assister à cette lugubre cérémonie. Six cents personnes, au moins, avaient tenu à accompagner les époux BRICOU, qui étaient nous l'avons dit très estimés, à leur dernière demeure si prématurément et si tragiquement ouverte.
Cette foule était silencieuse et émue. Elle s'est écoulée lentement. Dans les nombreux groupes, on pouvait lire de la stupeur et surtout de l'indignation.

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L'assassin présumé a pris la fuite. Il n'a pas été possible, malgré les efforts déployés, de procéder à son arrestation.

Ce crime reste impuni.

Quelques personnes en savent un peu plus.

On connaitra la vérité sur ce double meurtre lorsqu'il sera possible d'en publier les détails,
à partir de fin décembre 2007, à l'expiration du délai de 100 ans imposé par la loi.
On pourra alors consulter le dossier judiciaire.

Un borne a longtemps marqué "le lieu du crime".
Elle a aujourd'hui disparu.

 

    Jacques Lamontellerie

 

 Complément le 5 janvier 2025

 

L'étude des recensements de l'époque nous indique qu'il était courtier laitier. Sans doute avait-il plus d'argent que ne le pensaient les locaux.

Les registres de l'Etat-Civil nous apprennent que Antoine Baptiste Jean BRICOU était né chez Jouet à Saint Ciers le 17/01/1855 et son épouse Lady Flavie COSSON le 22/10/1855 à Guimps (Charente) où ils se marièrent le 17/10/1881.

 

 

Dans un article du 19/01/1908 l'Echo de Jarnac indique qu'un mandat d'arrêt a été lancé contre François CAUCHOIX, âgé de 47 ans, journalier à Lorignac, en fuite.

 

Echo de jarnac 19 janvier 1908

 

 

L'Echo de Jarnac précise ensuitet dans un article du 16 février1908 que le véritable criminel s'appelerait Jean-BaptisteClaude Louis BOUET.

 

Echo de jarnac 16 fevrier 1908 crime bricou

 

 

 

Nous avons la confirmation de l'identité du criminel dans le Rapport de Gendarmerie France et Algérie (1891-1914) conservé au Centre Historique des Archives Nationales.

 

Rapport gendarmerie

 

 

Il reste à poursuivre les recherches pour savoir si l'enquête a abouti ou pas.

 

Chose étonnante dans ce dossier : - Aucune trace de François CAUCHOIX n'a été trouvée sur les recensements de Lorignac et de Saint Ciers du Taillon de cette époque.

                                                         - Aucune trace non plus de Jean-Baptiste Claude Louis BOUET sur les recensements et les registres d'Etat-Civil des deux communes.

 

Jacky Combas

 

Fin de l'enquête  (22/12/2025)

Aujourd'ui, après avoir consulté les archives de la presse régionale, j'ai pu prendre connaissance de nombreux articles publiés à cette époque sur cette affaire et reconstituer, autant que faire se peut, la réalité de cette affaire criminelle.

Le 29/12/1907 entre cinq et six heures du matin le Sieur Honoré Tétard, marchand de porcs à Saint Ciers du Taillon passait sur le chemin de communication qui avoisine le village de Chez Jouet.

Il était à trois ou quatre cents mètres du village lorsqu’il aperçut une forme humaine couchée sur la route. Il s’approcha et se trouva en présence du cadavre de la femme BRICOU, âgée d’une cinquante d’années et habitante du village de Chez Jouet.

Faisant encore quelques pas, il aperçut un second cadavre qui était celui du Sieur Bricou, mari de la précédente.

Il alla d’abord avertir les voisins les plus proches du lieu qu’il venait de faire la lugubre découverte.

Puis ce fut M. MERONNEAU, maire de Saint Ciers, qui fut averti, ainsi que le garde-champêtre et le brigadier de Gendarmerie de Saint Thomas, commune limitrophe, qui vint accompagné de ses gendarmes.

On fit transporter les cadavres à domicile, et l’on constata que les époux BRICOU avaient été frappés chacun d’un coup de fusil.

Une première hypothèse se présenta à l’esprit des personnes présentes : BRICOU avait assassiné sa femme et s’était ensuite suicidé.

Mais on avait envoyé chercher le Docteur CHEVALIER, médecin à Lorignac ou Saint Ciers du Taillon (imprécision des articles).

Ce dernier fit déshabiller l’époux BRICOU et constata que ce dernier avait reçu lui aussi un coup de fusil dans le dos, au-dessous de l’épaule gauche et que sa mort avait dû survenir une heure après. Quant à la blessure de la femme, elle partait du côté gauche et le plomb (du numéro 5 parait-il) était venu sortir du côté droit, perforant le poumon.

Les deux cadavres ont été trouvés à cinquante mètres de distance et un fusil et des cartouches ont été ramassées.

Selon le témoignage de M. GARNIER, domestique à Lussac qui veillait son père qui venait de mourir dit avoir entendu vers h 30 du matin les crix de : »au meutre ». Il vit une lanterne sur la route puis un coup de feu.

Les deux cadavres furent transportés à leur domicile où l’on constata que les meubles avaient été bouleversés, l’armoire fouillée, le sol jonché de linge, . Le lit était défait, ce qui pouvait indiquer que les époux BRICOU s’étaient couchés avant d’être réveillés par le criminel.

Des voisins qui avaient passé la veillée avaient eux confirmeront que les époux BRICOU se sont couchés vers dix heures du soir.

Pour que les époux BRICOU se soient levés de si grand matin, on supposa que l’assassin était venu leur annoncer la mort ou la maladie d’un parent. Ils s’habillèrent donc aussitôt puis partirent, accompagnés par l’individu qui déchargea son fusil sur eux à bout portant.

Les soupçons se portèrent sur un individu qui depuis quatre mois environ vivait dans la contrée « on ne sait comment, qui venait on ne sait d’où, et dont le domicile était tout simplement le bois des environs ». Il se faisait appeler François CAUCHOIS et prétendant être ancien brigadier de gendarmerie

On sut plus tard que l’individu recevait par la gare de Lorignac des colis en provenance du département de l’Ain.

Personne ne l’ a plus vu depuis. Il n’a plus reparu depuis le jour du crime.

Le Parquet en charge de l’enquête diffusa le signalement de l’individu « aux allures étranges » dans plusieurs directions.

                                                                            (article de La Petite Gironde du 01/01/1905, article La France de Bordeaux et du Sud-Ouest du 31/12/1907)

 

L’article de La France de Bordeaux et du Sud-Ouest du 01/01/1908 précise que le Parquet de Jonzac, composé de Ms SAUVAGET (Procureur de la République), FLANDRAY (juge d’Instruction) et REIGNIER (commis-greffier) s’était transporté en voiture sur les lieux du crime où les magistrats sont arrivés vers 10h30. Le médecin légiste, le Docteur DESBROUSSE, fit l’autopsie des corps. L’article précise également que rien n’ a rien été trouvé chez les époux BRICOUX, ni sur eux ni à leur domicile alors que BRICOU avait vendu, quelques jours apparemment pour 200 francs d’avoine et le samedi précédent pour 48 francs de volailles à la foire de Mirambeau.

L’article conclut que le mobile du crime est le vol, qu’il y a eu préméditation et que le ou les assassins ont usé d’un subterfuge pour les attirer sur la route et les tuer.

Le 10 janvier suivant le Parquet de Jonzac lance un mandat d’arrêt contre François CAUCHOIS, âgé de 47 ans, journalier, ayant demeuré à Lorignac, né à Sault (commune de VILLEBOIS (AIN) le 14/10/1860, fils de Alexis CAUCHOIX et de Claudine CABUS, en fuite, inculpé de double assassinat et de vol, commis commune de Saint Ciers du Taillon dans la nuit du 28 au 29 décembre 1907.

Ce mandat d’arrêt arrivera trop tard à Bordeaux où les enquêteurs apprendront bien trop tard que l’individu était arrivé le soir même du 29 décembre Avenue de Saujon à Bordeaux probablement par la ligne de train Lorignac-Jonzac-Bordeaux ou plutôt Saint Ciers du Taillon-Jonzac-Bordeaux (gare plus proche de chez Jouet).

En effet il faudra au juge d’instruction de Jonzac de grands efforts et une longue perte de temps pour reconstituer la physionomie de ce criminel constamment en fuite à travers les bois (on apprendra plus tard qu’il était sous le coup d’un mandant d’arrêt par le Parquet de BELLEY pour abus de confiance commis en 1904). Il décrivait « un individu âgé d’environ 48 ans, 1 mètre 70 environ, gros, très forte corpulence, cheveux moustache et la mouche châtain grisonnants, le nez un peu rouge, mauvaise mine ; Il est vêtu d’une veste et d’un pantalon qui sont sales, chaussé de pantoufles, coiffé d’un chapeau de feutre noir. Cet individu, qui est habitué à vivre dans les bois, pourrait être utilement recherché chez les propriétaires résiniers surtout. »

Quand les membre de la Sûreté bordelaise avec le concours de deux inspecteurs de la Sûreté parisienne requis par le Parquet de Jonzac seront en possession de ces informations pour commencer leur enquête pour le localiser avec le témoignage du tenancier du restaurant, il est déjà trop tard.

Leur enquête révélera qu’il résidera à cette adresse deux jours seulement avant de disparaitre définitivement.

Le Parquet de Jonzac établira que le meurtrier avait reçu en gare de Lorignac sous le nom de CAUCHOIS différents colis :

- le 24/10/1906 un colis de 3 à 5 kilos numéro 9,427 venant de Lyon-Brotteaux

- le 07/10/1907 deux colis de 3 à 5 kilos numéros 9,704 et 9,705 devant de Lagnieu (Ain)

- le 12/10/1907 un colis de 3 à 5 kilos numéo 9,998 venant de Lagnieu.

L’administration des Trains Economiques des Charentes fournira l’adresse des envoyeurs.

C’est très certainement ces renseignements qui permirent au Procureur de la République de Jonzac d’affirmer le 18/01/1908 que « l’auteur présumé de ce double crime serait un nommé CAUCHOIS dont le vrai nom serait BONNET, originaire de l’Ain, qui se dit ancien brigadier de gendarmerie ».

En fait le meurtrier avait volé les papiers et usurpé l’identité de ce François CAUCHOIS qui était fils de gendarme à SAULT (commune de VILLEBOIS – AIN).

                                                                                                                            (articles La France de Bordeaux et du Sud-Ouest des 27 et 28 janvier 1908).

 

BONNET ( en réalité Jean Baptiste Claude Louis BONET) né le 19/09/1859 à IZENORE, journalier à LORIGNAC alias François CAUCHOIS ne fut jamais retrouvé et fut condamné à la peine de mort le 06/08/1910 par la Cour d’Assises de la Charente- Maritime séant à SAINTES (article de l’Indépendant de la Charente-Maritime du 11/08/1910) puis fit l’objet d’une condamnation à mort par contumace par la Cour d’Assises de Charente-Inférieure à La Rochelle le 07/08/1910 (Le Petit Courrier du 08/08/1910 et Le Conservateur du 14/08/1910).

On peut penser qu'il ne fut jamais retrouvé après sa condamnation à mort par contumace car je n'ai trouvé aucun texte ou article de presse, que ce soit dans les Archives Judiciaires ou dans les archives de la presse, régionale ou nationale.

Commentaire :

Grâce à la numérisation des Archives Départementales de l’Ain il m’a été permis de trouver la fiche matricule de Jean Baptiste Claude BONET qui indique qu’il était bien né le19/09/1859 à IZENORE (AIN).

Il était instituteur adjoint avant d’être condamné par la Cour d’Assises de l’AIN le 28/10/1884 à la peine de 7 ans de réclusion pour crime d’attentat à la pudeur sur des enfants âgés de moins de 13 ans alors qu’il était leur instituteur.Cette condamnation est donc à rajouter au mandat d’arrêt lancé par le Parquet de BELLEY pour abus de confiance en 1904, qui peut expliquer sa fuite à Lorignac en 1906 quand il reçoit un premier colis.

Il a été facile de trouver l’acte de naissance du vrai François CAUCHOIS né le 14/10/1860 à VILLEBOIS (AIN) fils de Alexis CAUCHOIS 33 ans gendarme demeurant à SAULT et de Claudine Cabus, dont l’identité fut usurpée par ce criminel.

 

Le couple BRICOU a donc été la victime d’un multi-délinquant en cavale depuis sa dernière condamnation juste avant son arrivée à Lorignac vers 1906 et qui vivait dans les bois pour protéger sa cavale. 

 

                                                                                                                                                                                                         Jacky Combas

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